Prendre une décision partagée

La commande du client

Récemment j’ai eu l’opportunité de co-faciliter avec ma collègue et amie Catherine Tanneau une réunion d’une équipe de direction internationale à l’occasion de la nomination de leur nouveau Directeur. Le client souhaitait notre intervention pour accompagner son équipe d’une trentaine de personnes dans la définition de leur gouvernance et répondre aux questions suivantes : quelles instances vont nous représenter ? Qui va prendre des décisions stratégiques ? Comment les communiquer pour que l’entreprise nous perçoive comme une équipe solidaire et unie ? Quelles règles de fonctionnement nous donner ?

L’enjeu était de sortir de la « langue de bois », de se dire les choses ouvertement afin de trouver une gouvernance qui suscite l’adhésion de tous, tout en tenant compte des différences du rôle de chacun (les personnes du siège et les internationaux, les fonctions de support et celles plus opérationnelles, les grands pays et les petits pays, etc.). Notre grand atout était le nouveau patron qui souhaitant organiser la réunion dans un authentique esprit d’écoute et d’ouverture. Il nous a dit clairement qu’il n’avait pas d’idées préconçues quand à une solution de gouvernance. Il voulait simplement qu’à l’issue des deux jours le groupe arrive à des décisions auxquelles tout le monde voudrait adhérer pour agir d’une seule voix vis-à-vis de l’entreprise.

Les questions que nous nous sommes posées

Catherine et moi nous étions face à une « carte blanche » avec tous ses avantages et ses inconvénients. Nous pouvions avoir un large choix de solutions sans restriction, mais nous courions aussi le risque d’un refus du groupe d’adhérer à notre méthodologie ou de sa préférence pour le « consensus mou » au moment de prendre les décisions importantes. A trente c’est toujours facile de se cacher dans la masse sans vraiment s’engager.

Nos questions de départ étaient :

– comment créer les conditions d’une responsabilité partagée ?

– comment engager tout le monde ?

– comment faire en sorte qu’à 30 ils arrivent à des solutions opérationnelles partagées et avec l’adhésion de tout le monde ?

La solution proposée

Dans l’objectif de susciter l’engagement et de responsabiliser tout le monde dans la recherche de solutions, nous avons opté pour la technique de « l’Open Space ». Après le discours d’introduction du nouveau Directeur qui posait la problématique « trouver une gouvernance partagée » nous avons demandé au groupe de répondre à la question suivante : “quels sont les sujets à couvrir pour avoir la gouvernance que nous voulons ?”. Nous avons demandé aux participants d’exprimer autant de sujets qu’ils souhaitaient afin que toutes les idées et préoccupations soient entendues. Après une session de post-it très créative, le groupe est arrivé à trouver une cinquantaine de sujets qui, à l’aide des participants et des facilitateurs, ont été regroupés en trois catégories.

Ensuite nous avons demandé aux personnes de se positionner dans les groupes en fonction de leurs intérêts. La règle était : « choisissez avec vos pieds et votre cœur. Allez vers le sujet qui vous passionne le plus ! ».

Chaque groupe avait un paper board à disposition avec tous les post-it qui concernaient leur sujet. Comme chaque sujet avait son lot de post it, nous avons d’abord demandé au groupe de bien définir leur sujet et le résumer en une phrase.

Après ce travail, nous avons donné aux groupes des règles très simples :

1. Allez-y : suggérez, créez, osez !

2. Soyez inclusifs : écoutez-vous les uns les autres

3. Si vous souhaitez explorer d’autres sujets, vous pouvez quitter votre groupe et contribuer au travail des autres groupes.

Chaque groupe avait une trame de travail également très simple : ils devaient répondre aux questions suivantes :

  • Quel est l’enjeu ?
  • Qu’est-ce que nous voulons accomplir ?
  • Quelles sont nos idées / suggestions ?
  • Que devons-nous décider ensemble aujourd’hui sur le sujet ?

Chaque groupe a travaillé sur son sujet pendant 45 minutes environ de manière très productive.

Comment faire en sorte que les solutions soient vraiment partagées ?

Pour répondre à cette question, à la fin du premier temps de travail, nous avons demandé à chaque groupe d’élire deux représentants qui allaient relater le travail du groupe et aux autres participants de changer de groupe pour aller contribuer aux travaux d’un autre sujet.

Nous avons répété l’exercice deux fois afin que chaque participant puisse contribuer aux travaux de tous les trois sujets : le sujet initialement choisi et les autres deux en rotation de 30 minutes chacune.

Par conséquent les décisions et solutions proposées par le groupe initial ont été discutées et enrichies par tout le monde. Chaque groupe avait un coach facilitateur qui les aidait à bien inclure tous les points de vue dans chaque solution proposée.

Après ce travail de proposition des décisions, nous les coachs facilitateurs, aidés par trois participants, avons reporté toutes les solutions et décisions proposées sur une slide en format tableau : décisions à prendre, objections, approfondissements.

Nous avions ainsi trois tableaux, chacun pour l’un des sujets.

A ce stade, nous avons interrompu les travaux, pour laisser la place à la convivialité d’un dîner partagé et au repos d’un bon sommeil. On dit que « la nuit porte conseil ». Nous avons intentionnellement laissé du temps pour que les idées se posent et que chacun puisse prendre de la distance de ses convictions pour laisser la place à la prise de recul et l’inclusion.

Et cette pause bénéfique a payé.

Le matin, nous avons repris la session. A chaque décision proposée, nous avons posé les questions suivantes au groupe :

– qui vote pour ?

– qui vote contre ? Si vous votez contre que vous faudrait-il pour voter pour?

– pouvons-nous prendre la décision maintenant ? Si la décision n’est pas possible aujourd’hui, qui s’en charge et quand sera-t-elle prise ?

Cette phase est très délicate car il faut aider le groupe à prendre le plus de décisions possibles sur place, sans les retarder et en même temps écouter les objections pour les inclure et faire en sorte que tout le monde soit réellement engagé.

Le résultat et comment nous y sommes arrivés

A la grande surprise de tous, beaucoup de décisions complexes et à fort enjeu ont été prises avec une adhésion unanime. Nous avons écouté les objections et nous les avons intégrées aux décisions en temps réel, toujours avec l’adhésion de tous. A la fin de la session, le groupe avait pris 80% des décisions et pour le 20% restant ils avaient un plan d’action clair sur quand et comment les prendre.

Comment a-t-il été possible de faire converger ces trente personnes dans une décision commune quand il est parfois si difficile de prendre des décisions avec seulement trois personnes ?

La réponse est simple et complexe : nous avons créé les conditions pour que l’intelligence collective soit à l’œuvre :

– Réelle ouverture, pas d’idées préconçues ni de la part de la hiérarchie ni de notre part : tout était possible !

– Laisser la place à un « chaos organisé » : nous avons laissé des moments de flottement afin que les participants trouvent eux-mêmes la meilleure manière de s’organiser. Ceci les a impliqués et responsabilisés.

– Nous avons créé les conditions afin que chacun puisse activement participer à toutes les décisions, puisque chaque participant a contribué aux travaux des trois groupes

– Écoute, écoute, écoute : nous avons fait en sorte que tout le monde soit écouté et entendu, que toutes les objections soient prises en compte. Ceci a permis d’apaiser les esprits et de créer un réel esprit de coopération vers un objectif commun.

A la fin des deux jours, les participants étaient émerveillés d’avoir obtenu un résultat si spectaculaire en si peu de temps. Cela faisait des années qu’ils n’arrivaient pas à trouver une gouvernance qui les implique tous…

Photo: JR « Pic nic across the borders »

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