En ce temps de pandémie, je me retrouve à faire du soutien moral à ma fille qui a la malchance de faire son « semestre universitaire à l’étranger » à Milan. En fait, « semestre à l’étranger » est une façon de dire puisque mes parents, mon frère et sa famille sont né à Milan et y habitent, donc ma fille n’est pas vraiment en terre étrangère. Depuis maintenant plus de deux semaines les milanais sont obligés de rester à la maison et peuvent sortir uniquement pour aller faire les courses. Ceci a un impact délétère sur le moral : ma pauvre Chiara est en train de faire une déprime, mais je vois aussi que les relations entre les membres de ma famille, obligés à vivre en vase clos, commencent à en souffrir : ils se disputent, ont les nerfs à vif et ont du mal à surmonter l’inexorable vague d’ennui qui les écrase.
Au niveau professionnel, une DRH ici à New York me disait que depuis cette semaine, toute son entreprise de plus de 700 personnes est en « work from home ». Après quelques jours de travail à distance ils ont fait une enquête auprès des salariés pour savoir comment ils allaient et la plupart a donné le feedback suivant : on est inquiets car on ne voit plus nos collègues autour de la machine à café, on est isolés et on se sent isolés.
Qu’est ce qui se passe ? Pourquoi dépérissent-ils ?
Le lien social est vital pour nous tous
D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, le lien social est un des trois piliers de la bonne santé des individus. Depuis le premier moment où nous venons au monde, nous nous développons grâce à ce lien : d’abord avec notre mère et ensuite, au fur et à mesure que nous grandissons, avec de plus en plus de personnes qui s’occupent de nous, nous éduquent, deviennent nos amis et ensuite nos collègues.
De nombreuses études (voir le lien dans la bibliographie) démontrent que les relations sociales – tant quantitatives que qualitatives – affectent la santé mentale, les comportements de santé, la santé physique et le risque de mortalité des êtres humains.
Par exemple, il est démontré que le risque de décès chez les hommes et les femmes ayant moins de liens sociaux est plus de deux fois plus élevé que le risque pour les adultes ayant plus de liens sociaux. Parmi les adultes atteints de maladies coronariennes, les personnes socialement isolées ont un risque de décès cardiaque plus élevé.
Le lien social est donc vital pour nous tous et c’est bien pour ceci que quand on en est privé on est si mal en point. Peut-être on ne ressent pas les effets sur la très courte période, mais au bout d’une semaine ou deux, cela a des effets sur nous, le « cas de Milan » le prouve.
Le lien social c’est quoi ?
Tous les jours, nous interagissons avec une multitude de personnes : nous échangeons avec nos familles, nos amis, nos collègues, la caissière du supermarché du coin… Les études longitudinales (qui étudient les mêmes individus pendant plusieurs années) sur les personnes qui vivent plus longtemps ont démontré que c’est la QUALITÉ de ces relations qui fait la différence.
Avoir des relations de bonne qualité signifie, notamment, avoir les émotions suivantes :
- Se sentir en sécurité
- Se sentir soutenus
- Rire et pleurer ensemble
- Coopérer avec les autres
- Se sentir utile
- Se sentir apprécié
- Se réjouir du bonheur de l’autre
Ces bonnes relations ont les effets suivants sur notre physique :
- Nous produisons la dopamine et l’ocytocine, les substances qui régénèrent notre corps et contribuent à notre santé
- Notre système immunitaire devient plus solide (et en ce moment on a besoin d’une armée à l’intérieur de notre corps !)
- La sécrétion du cortisol (l’hormone du stress) se normalise. Et là, avec toutes les mauvaises nouvelles, on a un sacré besoin de la régler !
Il est dont urgent, dans un moment où nous sommes tous amenés à diminuer les contacts physiques, de trouver des solutions pour garder le lien social : c’est le meilleur moyen de prévenir le virus en attendant le vaccin !
De plus, les émotions positives aussi bien que les négatives sont contagieuses, et on a donc besoin de divulguer le virus de l’émotion positive associée aux contacts sociaux !
Mais alors, comment garder les liens sociaux au travail quand on travaille à distance?
Les italiens, dans leur créativité notoire, ont découvert le lien social au balcon. Vous pouvez voir sur ce lien qu’ils font des concerts sur les balcons, se parlent, font la fête…
https://www.vox.com/culture/2020/3/13/21179293/coronavirus-italy-covid19-music-balconies-sing
Bien évidemment, dans le cadre du travail, cette solution n’est pas applicable, vu que chaque collaborateur est chez lui et chacun est dispersé géographiquement.
Les suggestions que vous trouverez ci-après sont le fruit de mon expérience de 7 ans de travail en équipe à distance. Je voyage entre l’Europe et New York, j’ai des équipes dans les deux continents en plus d’un réseau de coachs dans le monde entier (www.welead-coaching.com). Par conséquent j’ai dû trouver des solutions pour garder le lien avec tous mes collègues.
Et voici ce que je vous suggère de faire :
1/ Tout d’abord je vous invite à travailler sur la CONFIANCE : on ne peut pas manager une personne à distance de la même manière qu’une personne qui travaille pour vous dans les mêmes lieux. Cette confiance n’est pas acquise et ne vient pas toute seule. Elle se construit jour après jour avec, notamment, les pratiques suivantes :
- Définir des RÈGLES CLAIRES, explicites et partagées de travail en commun. Ces règles sont basées sur ce que vous considérez important, vos valeurs et les comportements qui en découlent. Par exemple, avec mes coachs qui travaillent pour moi dans le monde entier, j’établis la règle de la transparence. S’il y a un problème quelconque avec un coaché ou avec l’entreprise locale, il faut qu’ils m’en préviennent très vite par email ou message, car je ne veux surtout pas le découvrir à travers mon client. C’est le coach qui doit m’en informer. A cette règle j’ajoute les mots suivants : dans notre métier tout le monde peut se tromper ou avoir des difficultés ou avoir des problématiques qui n’ont pas de réponse immédiate et évidente. Je ne juge pas un coach si à un moment donné il se pose des questions ou dit qu’il ne sait pas ou qu’il a fait une erreur. Au contraire, pour moi ceci est une qualité importante et un signe de maturité. Par contre, si le coach ne partage pas son problème avec moi à l’avance, je risque de ne plus lui faire confiance.
- Ensuite je suis COHERENTE avec ce que je dis : dès qu’ils me signalent un problème, je fixe rapidement un appel avec eux, je les écoute et ensemble nous trouvons une solution. Parfois leurs problèmes me donnent des soucis, mais je réfléchis toujours à la question suivante : préfères-tu qu’ils t’en parlent et que tu sois obligée d’affronter ces problèmes ou qu’ils ne t’en parlent pas et qu’un jour le client te dise qu’il n’est pas content ? Je connais la réponse. Ceci veut aussi dire que je me suis engagée à ne pas reprocher à mes coachs leurs erreurs, mais je dois toujours faire de mon mieux pour trouver une solution aux problèmes.
- Pour créer la confiance il faut savoir aussi LÂCHER cette forme de pouvoir qui consiste à contrôler de près ce qui fait le collaborateur. Quand on travaille à distance (et aussi en présence !), ce pouvoir ne marche pas tout simplement parce que vous ne pouvez pas l’exercer, puisque vous n’êtes pas là ! Donc autant le laisser tomber. Concentrez vos énergies à essayer de partager les objectifs, encourager, résoudre les problèmes avec votre collaborateur, donner souvent des feedbacks, bref, faire en sorte qu’il ait envie de travailler, qu’il se sente responsable de ses propres objectifs et apprenne à devenir meilleur dans son travail.
2/ Les règles claires sont accompagnées par des OBJECTIFS CLAIRS ET PARTAGÉS. Qui dit partage dit aussi discussion sur les objectifs. Pour créer la confiance il faut que le collaborateur se sente responsable de ses objectifs et pour avoir ce résultat, il faut éviter l’écueil de lui imposer vos objectifs car de cette manière on obtient exactement le contraire : ce ne sont pas les objectifs du collaborateur, ce sont vos objectifs et donc il ne se sent pas responsable. Autre chose : quand on travaille à distance, il est préférable de fixer des objectifs pour le mois qui vient, voir les prochains trois mois. Il vaut mieux adopter une politique des petits pas qui permet à vos collaborateurs d’avoir des objectifs atteignables et donc de garder confiance, plutôt que les pousser vers des objectifs lointains qui n’ont pas de sens pour eux. Moins on se voit, plus les objectifs doivent être relativement à court terme, avec l’idée d’avoir des points de contact fréquents pour ajuster les objectifs et les enrichir pour aller plus loin. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas expliquer le POUR QUOI, c’est-à-dire expliquer à quoi servent les objectifs dans le long terme. Il faut faire du ET : donner la vision globale ET des objectifs de manière continue.
3/ Créer des REUNIONS adaptées au besoin de contact et qui permettent aux coachs de se sentir partie d’une équipe, même à distance. Il est fondamental de s’y tenir, beaucoup plus que si on travaille dans les mêmes bureaux, car ce sont des moments importants de contact, d’échange, de partage. N’oubliez pas que si vous ne tenez pas vos réunions, les gens vont se sentir vite isolés, ce qui conduit à la déprime et à une baisse de la performance. De plus, ces réunions vont alimenter la proximité, ce qui va alimenter la confiance réciproque : voyez-vous le cercle vertueux ?
En général, voici comme j’ai structuré les réunions en visio-conférence avec mes équipes à distance :
- RÉUNIONS HEBDOMADAIRES D’ÉQUIPE – OPÉRATIONNELLES, si possible début de semaine pour parler ensemble de la semaine qui vient, des objectifs de chacun pour la semaine, des projets. Ceci permet à chacun d’avoir une vision de ce que font les autres, ce qui donne un sens de communauté, de lien.
- RÉUNIONS IMPROVISÉES À DEUX/TROIS – OPÉRATIONNELLES pour résoudre des problématiques spécifiques.
- CALLS EN ONE TO ONE avec vos collaborateurs pour les aides à avancer, leur donner des feedbacks, les soutenir, résoudre des problèmes.
- RÉUNIONS D’ÉQUIPE SUR LES SUJETS DE FOND une fois par mois ou quand il s’avère nécessaire, pour réfléchir sur des sujets sur le moyen-long terme. Par exemple, avec mon équipe nous devons décider si nous allons créer une société dédiée à un projet et nous allons prendre cette décision ensemble lors d’une réunion dédiée.
A noter que vos réunions virtuelles doivent être plus fréquentes mais aussi plus courtes, pour éviter que chacun se mette à faire son travail de côté, ce qui reviendrait à perdre du temps. La présence à 100% de tous est fondamentale pour créer le lien social !
Ne dépassez pas 1h30 pour votre réunion hebdomadaire. Pour les autres restez sur des formats de 30-45 minutes maxi.
Dans le chapitre des réunions, je mets aussi la question d’UN SYTÈME DE CHAT OUVERT. Avec mes coachs j’utilise Whatsapp : ils savent qu’ils peuvent m’écrire à tout moment et que je vais répondre dans les 2h soit pour fixer un appel à deux, soit une mini réunion. En équipe la chat visible par tous permet de garder le contact, de résoudre des questions opérationnelles rapidement et d’alimenter la confiance puisque tout est ouvert.
Et la convivialité dans tout cela ?
Pour la partie convivialité, je prends inspiration de mes amis italiens qui, forcés à la réclusion, ont dû renoncer au fameux apéritif italien avec leur bande d’amis. Comme la créativité ne leur manque pas, ils ont décidé de se retrouver pour des apéritifs virtuels où chacun se connecte en vidéo avec son apéro dans la main sur son canapé et parle avec les autres.
Faites la même chose : par exemple, tous les matins, connectez vous avec votre équipe pendant 10-15 minutes avec le café à la main pour vous souhaiter la bonne journée, avoir un échange informel, créer la proximité. De la même manière, fêtez les anniversaires et les belles occasions. Plus vous créerez des moments informels, plus votre équipe se sentira proche et sera motivée à travailler ensemble.
Et si le couvre-feu continue ?
Nous sommes face à une période où domine l’imprévisible. Nous ne savons rien, en fait : ni quand cela va finir, ni les réelles conséquences. L’imprévisible génère de l’anxiété et de la peur. La seule chose dont nous pouvons avoir la certitude c’est la qualité des liens sociaux que nous allons créer et maintenir. Et c’est aussi le meilleur antidote pour se donner du courage et ne pas succomber à l’anxiété. La bonne nouvelle c’est que tout ça dépend de nous : nous pouvons contrôler la qualité de nos liens avec nos familles et les personnes avec qui on travaille, alors mieux vaut focaliser nos énergies dans quelque chose qui nous fait du bien !
Bibliographie
Social Relationships and Health: A Flashpoint for Health Policy, Debra Umberson and Jennifer Karas Montez: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3150158/
World Health Organization: https://www.who.int/hia/evidence/doh/en/
Harvard Business Review: How to Get People to Actually Participate in Virtual Meetings, Justin Hale and Joseph Grenny, March 2020