La source
Dans ma newsletter de Novembre je vous avais parlé du livre de Robert Kegan et Lisa Laskow-Lahey « An everyone culture : Becoming a Deliberately Developmental Organization » (Harvard Business Review Press) en vous proposant un résumé de l’atelier de trois jours sur le sujet auquel j’ai assisté à Boston.
Pendant les vacances de Noël, j’ai eu l’opportunité de lire le livre et d’approfondir le sujet. Ici je vous en offre un résumé très succinct. Je vous conseille vivement de le lire, rien que pour vous en inspirer car il offre une ouverture vers un nouveau mode de management bien plus adapté au monde qui s’ouvre à nous qui est de plus en plus VUCA (en anglais « Volatile, Uncertain, Complex, Ambigous »).
NOTE : ici après on va abréger « Deliberately Developmental Organization » avec DDO. On pourrait le traduire en français par Organisation délibérément orientée vers le développement.
L’objectif
Dans un monde de plus en plus complexe, on parle beaucoup d’entreprises agiles. Selon les recherches et les cas illustrés dans le livre, les clés de l’agilité résident dans la capacité de chacun de se développer en tant que personne et par conséquent de la contribution de chacun à diffuser une culture d’entreprise qui aille dans ce sens. Le développement individuel passe avant tout par la capacité de chacun à surmonter ses limites et les conditions que l’entreprise met en place pour diffuser une culture de l’échange et du feedback continu. La mise en œuvre de dispositifs de développement égaux à tous les niveaux de l’entreprise entraîne une culture de l’ouverture, de la responsabilité et de l’autonomie qui au final porte les entreprises qui appliquent le DDO à des résultats extraordinaires et durables. Dans le livre, l’exemple qui m’a surtout frappé est celui de Bridgewater, une société d’investissements financiers qui, grâce à sa culture d’ouverture, de confrontation constructive et de remise en question jusqu’au top management, a réussi à surmonter la crise financière de 2008 en gagnant de l’argent au lieu que d’en perdre comme tous ses autres concurrents. Je vous invite à visiter leur site web qui est plutôt insolite pour les sociétés de ce secteur (www.bridgewater.com). Il en dit beaucoup sur la culture d’entreprise qu’ils ont réussi à mettre en place.
Les trois piliers : introduction
Les trois piliers qui suivent sont indispensables pour mettre en place une (telle) culture de l’ouverture et de la croissance individuelle et collective. Bien évidemment, chaque entreprise doit trouver les dispositifs qui (le plus) lui sont adaptés, mais le livre est clair sur ce point: on ne peut pas mettre en place une DDO en partie ou à moitié : c’est tout ou rien.
Cela dit, il est très clair aussi sur un point qui me paraît essentiel : la perfection n’est pas de ce monde et mettre en place une DDO prend du temps. On est une DDO si on met en place les dispositifs adéquats, si on les fait évoluer, si on les perfectionne, car si le droit à l’erreur est à la base de cette nouvelle culture, (car l’erreur est la principale forme d’apprentissage et donc de développement), le chemin est beaucoup plus important que l’objectif final. C’est en entreprenant ce voyage qu’on crée la tension nécessaire pour une DDO. Le voyage ne prendra pas fin, car cela voudrait dire mettre fin au développement continu qui est à la base de cette culture.
A noter qu’on peut appliquer ces trois piliers dans l’ensemble d’une entreprise, mais aussi au sein de son équipe, de sa division, en les adaptant au contexte.
Hedge – Limite
Une DDO a pour objectif de créer des moments de discontinuité à toute occasion. Comme son but est de développer les personnes avant tout, à chaque fois qu’un salarié atteint un savoir- faire dans une position, il/elle change de poste pour en occuper un autre qui lui permette de se développer. Ceci comporte une mise en œuvre des dispositifs pour détecter le potentiel de développement de chaque employé. Autre élément important : la capacité à détecter les erreurs et les faiblesses comme principale source d’apprentissage. Par exemple, chez Bridgewater, toute l’entreprise partage les « issues log » de tous les employés (y compris du PdG !) : chaque employé doit informer par écrit tous les autres des erreurs et des apprentissages qui en découlent. La plupart des employés dans les entreprises habituellement passent la plupart de leur temps à cacher leur incompétence et leurs erreurs, alors que dans une DDO, ils ont l’obligation de les mettre en lumière, d’en informer les autres pour que les erreurs des uns soient source d’apprentissage pour tous.
De cette manière une DDO pousse les limites de chacun en créant ces moments de discontinuité qui sont à la fois source d’inconfort et de croissance. En lisant les témoignages du livre, le fait de pousser les limites est aussi source d’inquiétude (surtout lorsqu’ on a à peine le temps de se sentir à l’aise dans un poste que l’on nous pousse dans un nouveau), de gêne et parfois d’inconfort (quel est le manager expérimenté qui aimerait entendre un feedback de son N-3 ?). Mais c’est grâce aux dialogues continus prévus dans « Groove » et « Home » que les collaborateurs reçoivent le support inconditionnel pour y arriver.
Groove – sillon
Ce deuxième pilier est composé de tous les dispositifs qui forment une sorte de sillon par lequel tous les collaborateurs doivent passer pour mettre en œuvre une DDO de manière cohérente et égale pour tous. Ces dispositifs sont ceux qui permettent à chacun, et donc à l’ensemble du collectif, de pousser ses limites. Il s’agit de « rituels » qui permettent des échanges entre les employés de tous les niveaux : organisation et structure des réunions, monitorage continu de la performance individuelle et collective, structuration des dialogues entre employés pour qu’ils puissent échanger des idées sur leurs difficultés personnelles et professionnelles.
Ces rituels prennent en compte la personne dans sa totalité, tout d’abord en tant que personne et ensuite en tant que professionnel. Dans une DDO il y a toujours un équilibre entre accueillir la personne pour ce qu’elle est, ses qualités et ses défauts, d’un côté, et la pousser pour se développer, de l’autre. Un exemple de « Groove » est le « check-in » quotidien : chaque matin les salariés se réunissent par pairs et passent 20 minutes à discuter de ce qu’ils considèrent important pour bien commencer leur journée. Vous pensez peut-être qu’il s’agit d’une perte de temps inutile, mais je vous invite à réfléchir : parfois nous arrivons au travail avec des tracas qui occupent une grande partie de notre énergie mentale (donc de notre productivité). Si nous avions tous les jours une personne à qui les confier, nous nous sentirions beaucoup plus légers et productifs.
Un autre rituel est celui des « Situational workshops » où toutes les semaines les collaborateurs se réunissent en groupes d’une vingtaine de personnes pour « se dire leurs vérités » et parler de ce qui vraiment compte pour eux, que ce soient des problématiques personnelles, relationnelles, ou organisationnelles. Pensez à la place et au temps que les relations prennent dans une entreprises (pour ne pas parler de « radio moquette » !) : si cette place et ce temps étaient canalisés vers des réunions, combien de temps gagnerait- on ?
Pour réduire la tension, il est nécessaire de réduire aussi les écarts qui sont typiques des entreprises à culture non DDO :
– réduire l’écart entre ce qui est dit et ce qui est fait
– entre ce que l’on dit et ce que l’on ressent vraiment
– ce que l’on dit près de la machine à café et ce que l’on dit dans une réunion
– ce que l’on écrit dans les évaluations de fin d’année et les feedbacks qu’on donne ou on ne donne pas le long de l’année
– les valeurs de l’organisation tels qu’ils sont exprimés et tels qu’ils sont appliqués
Dans une DDO tous les rituels visent à la réduction de ces écarts car ce sont surtout eux qui absorbent une grande partie de l’énergie vive dans une organisation : combien de temps perdons-nous dans des réunions inutiles ? Dans des évaluations annuelles qui ne servent à rien ? Dans une DDO les collaborateurs passent beaucoup de temps à se parler, certes, mais c’est du temps productif, utile pour les individus autant que pour l’organisation.
Chaque organisation doit trouver les rituels qui lui sont propres et dans les exemples de DDO illustrés dans le livre, il est clairement dit qu’il faut du temps pour trouver les bons rituels et qu’il n’y a pas de recette unique.
Home – maison
Dans une culture d’entreprise très exigeante comme celle des DDO, il est fondamental de prêter attention aux personnes et les considérer comme des êtres humains dans toute leur valeur. Les rituels de « Groove » servent aussi à faire en sorte que chaque collaborateur sente que l’organisation s’occupe de lui/elle d’abord en tant qu’être humain et ensuite en tant que collaborateur. Le développement de tous est l’affaire de tous car il est au centre d’une DDO. Par conséquent, le rôle des managers est principalement celui de faciliter ces moments de développement, sachant que les managers doivent aussi se développer car ils sont à même de recevoir des feedbacks de tous les niveaux de l’organisation et participent comme tous les autres aux rituels.
Dans le pilier de « Home » est présente aussi la notion de « camp de base » ou d’équipe dédiée qui est composée des personnes sur lesquelles chaque collaborateur peut vraiment compter pour assurer son développement. Ces moments peuvent se concrétiser, par exemple, par des coachings mutuels quotidiens et par des réunions en petits groupes chaque semaine. Dans le « issues log » mentionné précédemment, les feedbacks sur les erreurs commises sont récoltés par écrit à tous les niveaux de l’organisation et ensuite la personne qui reçoit le feedback répond en indiquant ce qu’il/elle a appris. Il arrive que certains répondent de manière inappropriée car, au lieu de voir l’opportunité de développement, ils voient une agression et se mettent sur la défensive. La partie « home » sert à mettre en œuvre les dispositifs nécessaires afin que la personne qui donne le feedback se sente protégée pour pouvoir bien le faire et que celle qui le reçoit l’utilise pour se développer, même si elle considère qu’il est faux ou mal exprimé. Dans l’exemple cité dans le livre un manager reçoit un feedback de son N-3 et le prend mal. Un autre manager intervient pour modérer les échanges et ainsi leur permettre d’atteindre l’objectif pour lequel ils ont été mis en place.
Conclusion
Cela vous plairait d’être dans une entreprise où l’on s’occupe de vous, où l’énergie collective est tournée vers le développement des personnes et du business plutôt que vers des jeux politiques ? Alors, je vous invite vraiment à lire le livre et à vous en inspirer. Même si vous ne travaillez pas dans une DDO à proprement parler, vous pouvez vous en approcher en commençant par quelques actions et en voyant au fur et à mesure ce qui est le plus adapté aux besoins de votre contexte. Je suis à votre disposition pour en parler avec vous, car ce sujet m’intéresse et m’enthousiasme.