Récemment j’ai fait le coaching de Paul qui voulait être promu et qui me demandait de l’aider à bien formuler sa demande avec son chef. En effet, comme il attendait la promotion depuis longtemps et il avait peur qu’elle lui échappe à cause des jeux politiques internes à son entreprise, il portait en lui un « bagage émotionnel » qui risquait de lui nuire lors de son entretien. Or, j’ai trouvé que son réflexe de demander de l’aide était déjà un signe remarquable de conscience de soi et un signe d’humilité en considération de son état émotionnel face à cette situation. Nous avons donc travaillé sur deux fronts :
1/ le premier concerne ses motivations pour obtenir ce poste
2/ le deuxième est centré sur l’expression de cette motivation auprès de son chef
Premier front : l’exploration de ses motivations
Pour travailler sur le premier aspect, je l’ai invité à aller au fond de ses motivations. Nous avons découvert qu’elles comportaient plusieurs enveloppes. La première, la plus intense, était un profond sentiment d’insatisfaction par rapport à son poste actuel. En creusant ce sentiment, nous avons découvert la passion qu’il avait pour son métier et l’envie d’avoir un impact dans une entreprise où il avait grandi ainsi que un sentiment caché de revanche par rapport à son père qui avait eu beaucoup de succès dans sa vie professionnelle et à qui il voulait démontrer que lui aussi pouvait atteindre la réussite. Lié à ce sentiment il y avait aussi son auto-perception de ne jamais être à la hauteur, le fameux « peut mieux faire » sans renforcements positifs, ce qui génère des problèmes relatifs à l’appréciation de soi.
Deuxième front : l’expression de la motivation
Ce premier travail a permis de clarifier la confusion émotionnelle née autour de cette promotion et nous a permis de passer à la phase suivante, celle de l’expression de la motivation auprès de son chef. Après mûre réflexion, il a décidé d’axer son intervention autour d’idées qu’il avait concernant les projets qu’il aurait souhaité mettre en œuvre une fois promu et sur la valeur ajoutée pour l’entreprise dans la réalisation de ces projets. Je lui ai aussi demandé de se mettre à la place de son chef et de regarder la question de son point de vue : quels étaient ses enjeux ? Quelles problématiques avait-il besoin de résoudre ? Qu’est-ce qu’il avait besoin d’entendre en considération de ces enjeux ? Comment aurait-il pu vendre les projets en interne ? Et cetera.
Résultat
Mon client est arrivé à l’entretien calme, libéré de son bagage émotionnel passif et avec un élan positif envers lui-même, son potentiel et son chef. Il a pu exprimer ses projets, les étayer et à la fin il était lui-même surpris de la réaction positive de son chef. Peu de semaines après il a eu la réponse positive à sa promotion alors qu’il y avait un nombre considérable de prétendants à cette position.
Ce qu’il y a eu en coulisse et qu’il vaut la peine d’explorer
Maintenant j’ai envie de vous raconter ce qu’il y a eu derrière cette histoire car le résultat positif n’a pas été le fruit d’une magie, ni d’une révélation, mais d’un travail attentif sur la conscience de soi et l’acceptation de soi.
Pour ce faire je vais demander de l’aide à Spinoza, le philosophe du XVII siècle qui à mon avis a formulé l’une des meilleures théories sur les moyens d’atteindre une vie heureuse, sans tomber dans un monde idéalisé du genre « tout le monde est gentil et toutes les situations sont superbes ». Il a été le père de ce qu’aujourd’hui on appelle psychologie positive, c’est-à-dire la psychologie pour nous rendre heureux en apprenant à devenir plus résilients face aux situations difficiles.
Quelques « pilules » de la philosophie de Spinoza
Mon objectif est de vous donner un point de vue sur notre nature d’êtres humains et sur l’importance de bien la connaître pour mieux vivre, tout en élevant un peu nos esprits pour mieux comprendre ce grand philosophe.
Selon Spinoza, le désir de joie et de jouissance, est l’essence de la vie affective ; la passion n’est qu’une partie de notre vie affective. Nous sommes actifs lorsque nous agissons mus seulement par notre nature. Nous sommes passifs lorsque notre œuvre découle principalement de causes extérieures à nous-mêmes et à notre essence. Mais c’est toujours notre essence qui est à l’œuvre (= notre désir) que nous soyons actifs ou passifs. Spinoza n’oppose pas raison et passion. C’est la passion passive qui est à combattre car elle provoque de la tristesse. C’est bien pour cette raison que chacun doit être au clair sur l’origine de ses affects. L’origine de l’activité réside dans les idées adéquates (complètes et donc vraies), l’origine de la passivité dans les idées inadéquates (mutilées et partielles et donc fausses).
La passion résulte d’une connaissance incomplète, imaginaire, erronée qui engendre la servitude de l’homme à la fois par rapport à d’autres hommes, car il accepte les idées incomplètes des autres, mais aussi par rapport à ses propres passions car elles lui empêchent de voir la réalité toute entière.
Notre bonheur ou malheur dépend des qualités de l’objet auquel nous sommes liés par l’amour. Cet objet d’amour peut être une personne, un groupe, une cause, un parti politique, une association, une entreprise, un objet, un pays, bref tout ce qui peut être désigné comme destinataire de notre amour.
D’où l’importance de réfléchir par nous-mêmes car un autre individu pourrait nous donner des informations erronées sur une personne ou une situation qui nous induiraient en erreur et donc à la passivité telle que Spinoza l’entend. Il est aussi important que chacun ait une connaissance de ses affects car ceci l’amènera à mieux comprendre en quoi il reproduit son désir sur l’autre ou, en langage psychanalytique, en quoi il fait une projection. Cette dernière s’avère quand nous projetons nos désirs sur les autres en pensant que les autres ont des émotions, des pensées ou même des caractéristiques qu’en réalité sont les nôtres. En gros cela veut dire que parfois on pense détester ou aimer quelqu’un non pas par rapport à ce qu’il est vraiment mais par rapport à la façon dont nous reproduisons nos émotions sur lui ou elle.
En quoi la philosophie de Spinoza peut-elle nous aider dans notre vie de tous les jours ?
Première application : la motivation
Comme Paul, dont je faisais l’exemple en débout de cette newsletter, nous sommes parfois motivés par des raisons qui nous sont dictées par d’autres ou en réaction à des pensées d’autres personnes. Paul avait un sentiment de revanche par rapport à son père qui d’une certaine manière envahissait son espace émotionnel, l’empêchant de voir clair dans la situation et surtout d’agir de manière pertinente. Ce n’est qu’en mettant en lumière ce sentiment qu’il a pu ensuite se pencher sur les motivations qui correspondaient à son essence : la passion pour le métier et les projets qu’il voulait mener.
Deuxième application : les illusions que nous nous faisons sur les personnes
Parfois notre désir d’aimer ou d’être aimé nous fait voire une réalité partielle de la personne que nous avons en face. Notre passivité nous amène à voir ce qu’on voudrait voir de l’autre personne. En revanche, en prenant conscience de notre vision partielle, nous pouvons considérer d’autres aspects de cette personne que parfois nous n’aimons pas (et que nous ne voulions pas voir). La réalité est parfois dure à accepter mais, selon Spinoza (et je suis d’accord avec lui), il vaut mieux voir la dure réalité en face pour mieux la gérer après. Certains d’entre vous pourraient me dire qu’on vit mieux sans voir toute la réalité. Ce que l’on veut voir ou ne pas voir fait partie des choix de la vie et tout choix est digne de respect.
Troisième application : les illusions que nous nous faisons sur les groupes
La même chose peut nous arriver par rapport à une cause, une entreprise, un groupe : parfois notre désir d’être inclus dans un groupe nous empêche de voir la réalité de ce groupe qui n’est pas toute rose. Il peut y avoir des jeux politiques, des logiques collectives. Parfois il y a des « beaux parleurs » qui convainquent les foules de pseudo-vérités qui ne sont que des illusions… Parfois c’est plus facile et plus simple de croire à une réalité qu’on veut nous faire croire car le développement de l’esprit critique est beaucoup plus complexe et même parfois source de solitude et de déceptions. Là aussi c’est un choix de vie.
Conclusions
Spinoza disait que si on développe la connaissance de nous-mêmes, des autres et des situations pour y chercher une vérité qui corresponde à la réalité, on sera plus libres. Mais attention, être plus libre ne signifie pas nécessairement être plus heureux car parfois la vérité fait mal. En contrepartie on pourra mieux gérer les situations car on sera plus au clair, comme dans le cas de Paul. On pourrait aussi dire que dans certaines situations il est préférable de se libérer de nos illusions ou vérités partielles et dans d’autres il est préférable de les garder. A vous de choisir ce qui vous convient le mieux.