Commençons donc, en ce mois, par le premier « i » : l’injustice de la vie.
Carlo disait que l’injustice existe dans la vie, que nous le voulions ou non, c’est un fait. Donc, l’homme sage est dans l’acceptation active, plutôt que dans la lutte et la perte d’énergie vaine contre cette injustice intrinsèque de la vie. Il accepte ce sur quoi il n’a pas prise, il n’est pas dans le ressentiment vain, il agit dans le présent et sur les événements sur lesquels il a un impact réel.
L’inutilité de la vengeance
Dan Ariely(1) nous donne un exemple de l’inutilité de la lutte contre l’injustice de la vie. Il raconte qu’un jour où il conduisait sa voiture flambant neuve, il en a perdu le contrôle – la voiture ne réagissant plus correctement – et il a failli en mourir. En réchappant, en état de choc, il appelle les services de la marque automobile, pour dénoncer ce défaut majeur de construction et pour obtenir du secours. Or, avec stupeur et colère, il obtient la réponse que ce défaut ne pouvait pas exister, que l’accident était donc, soit de sa faute, soit imaginaire, et qu’il était donc hors de question d’envisager les secours, la réparation ou le remplacement du véhicule. Dans cette situation, il avait le choix : soit engager une procédure longue et hasardeuse quant au résultat contre le constructeur, soit essayer de trouver une solution pour que la voiture soit réparée au plus tôt et aller de l’avant.
Les études de Dan Ariely montrent que l’être humain serait volontiers régi par le désir de vengeance à tout prix (argent, temps, démarches,…), plus que par la recherche de la solution la plus avantageuse pour lui, issue d’un raisonnement rationnel et d’un calcul économique. Il aurait tendance à entretenir sa soif de vengeance, qui, de fait, malheureusement, fait persister un sentiment d’injustice, néfaste pour lui.
L’inutilité de regrets et ressentiments
Outre la volonté de vengeance, le sentiment d’injustice peut engendrer un autre impact néfaste : les regrets, le ressentiment. Il en est souvent ainsi, quand un événement externe vient empêcher ou perturber nos propres attentes et désirs. Nous pouvons alors dépenser beaucoup de notre énergie psychique à ruminer des pensées comme « s’il ne m’avait pas fait ceci, j’aurais obtenu… », « si ce n’était pas arrivé, j’aurais pu devenir… »…
Vengeance, regrets, ressentiment, ruminations : à cause d’un sentiment d’injustice, nous les avons tous ressentis à certains moments de nos vies, et, après coup, nous nous sommes rendu compte que ces réactions consommatrices de temps et d’énergie, entretenant notre mal-être, ne nous avaient pas apporté positivement.
Le raccourci du coupable externe et les trois positions face à l’injustice
Irvin Yalom(2), l’une des grandes figures de la psychiatrie existentielle aux Etats-Unis, également connu par le grand public pour ses romans, a exposé que l’homme est plus enclin à chercher un coupable externe – comme les injustices de la vie – plutôt que d’accepter sa propre responsabilité dans tout évènement. Certes, comme pour Dan Ariely, il s’agit d’une expérience où la malchance externe est en jeu, mais dans ce cas aussi, ce qui change radicalement notre destin est notre attitude face à ce genre d’événements.
Nous avons notre vraie responsabilité dans le choix de notre réaction :
- Etre une victime, qui se sent écrasée par ce qui lui arrive ;
- Etre un bourreau, cherche à tout prix à se venger et à punir.
- Etre acteur de sa vie.
Cette dernière attitude est fondamentalement l’une des plus difficiles, car elle nous oblige à regarder la situation lucidement, avec responsabilité et conscience de notre prise sur la vie, pour envisager toute expérience comme un apprentissage de la vie et une opportunité d’aller de l’avant.
Les trois attitudes au travail
Concrètement, considérons un cas classique d’injustice de la vie : une personne de moindre valeur que nous est promue à un poste, à notre place. Face à cette annonce, après la première déception très naturelle et saine, nous avons plusieurs choix :
- Etre une victime : agir et se plaindre… « oh, pauvre de moi » qui n’a pas obtenu la promotion souhaitée. Mais, la promotion n’arrivera pas pour autant et nous projetons à la longue, une image peu flatteuse et énergique.
- Etre un bourreau : se venger auprès de la personne qui a été promue ou ceux qui l’ont promue, dénigrer les compétences des personnes, mettre des bâtons dans les roues… Nous n’en serons pas plus heureux et nous n’obtiendrons pas plus la promotion. Par contre, il est probable que nos collègues nous considèreront comme une personne peu fiable et peut être dangereuse.
- Etre acteur : regarder la situation en face, avec courage et lucidité, jusqu’à se demander si nous n’avons pas une part de responsabilité – ne serait-ce qu’un 1% – même dans les situations que nous ressentons comme subies et injustes. Il est essentiel de pouvoir s’attribuer cette part de responsabilité, c’est en effet la clé pour être acteur de nos vies. En effet, si nous avons provoqué plus ou moins une situation, nous avons aussi le pouvoir de la changer. Nous pouvons donc envisager notre avenir (envers ce poste ou un autre, dans cette entreprise ou une autre), avec cette responsabilité et notre pouvoir d’action.
Conclusion
Nous passons plus ou moins longtemps par ces trois attitudes naturelles, et cette voie de la responsabilité et de l’action est bien sûr la plus ardue à acquérir directement et exclusivement.
Cependant, disait Carlo Moïso, la différence entre un homme heureux et un homme malheureux est que l’homme heureux comprend vite qu’il dépense de l’énergie inutilement, en tombant dans le piège d’un des « i » comme celui de l’injustice, et alors, il se donne le pouvoir de changer d’attitude et d’agir en responsabilité.
(1) Dan Ariely, The Upside of Irrationality, p. 131ss
(2) Irvin Yalom, La thérapie existentielle, Galaade Editions. Quelques romans : Mensonge sur le divan, Et Nietzsche a pleuré, La méthode Schopenhauer, …

